[Decode Banking 4.0] Part 1: la spectaculaire fragilisation des banques françaises (2024)

Si la bourse est souvent un jeu de dupe, il arrive que son verdict soit sans appel. Depuis un an, les
capitalisations boursières des principales banques françaises connaissent un net décrochage. Le cours
de l’action Société Générale a ainsi été divisé par deux entre février 2017 et février 2018. Sur la même
période, les actionnaires de la BNP Paribas et Natixis ont vu leurs titres se dévaloriser de près de 40%.
Avec«seulement» 32% de perte de valeur, le Crédit Agricole ferait presque figure de bon élève. Une
dégringolade d’autant plus remarquable que le CAC40 est resté relativement stable (-3%).

Deux phénomènes complémentaires peuvent expliquer cette érosion préoccupante. La perte de confiance des investisseurs semble en premier lieu imputable à la mauvaise qualité des actifs au bilan, et notamment des prêts accordés par les banques. Outre l’incertitude pesant sur la qualité de leurs bilans, les majors ont peu renouvelé leur modèle d’activité les dix dernières années, et ce malgré l’irruption de nouveaux concurrents particulièrement innovants. Fintechs, acteurs majeurs de l’économie digitale et autres opérateurs télécoms captent une part croissante des flux financiers en se focalisant sur un nombre limité de segments comme le paiement, le prêt, la gestion de patrimoine automatisée, le transfert de fonds…

Les dangers de l’hyperconcentration

Si la situation financière est aussi préoccupante en 2019 qu’à la veille de la crise des subprimes selon Nassim N. Taleb, c’est sans doute parce que les modèles bancaires ne parviennent pas à se renouveler malgré les crises successives d’un secteur à bout de souffle. Conséquence de la crise démarrée en 2007-2008, les banques se sont détournées de l’innovation pour se focaliser sur leur mise en conformité avec une réglementation prudentielle alourdie (hausse du taux de fonds propres avec Bâle I, II, III, transparence accrue avec DSP1 et DSP2).L’augmentation des contraintes réglementaires a imposé aux banques de croître pour atteindre une taille critique, précipitant davantage le mouvement de concentration du secteur déjà à l’œuvre depuis la vague de déréglementation des années 1980: dans un rapport en date de mai 2018, l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) note que 90% du produit net bancaire (PNB) en France provient des six plus grandes banques nationales: BNP Paribas, Société Générale, Crédit Agricole, BPCE, Crédit Mutuel et La Banque Postale. Le destin de l’oligopole bancaire français est solidement lié par l’adoption d’un même modèle en plus du jeu des dettes croisées. C’est donc peu dire que l’hyperconcentration bancaire ne diminue pas le risque de voir éclater une nouvelle crise systémique.

[Decode Banking 4.0] Part 1: la spectaculaire fragilisation des banques françaises (1)Les taux d’intérêt très bas voulus par la BCE afin de stimuler l’activité économique expliquent la décroissance de la marge nette d’intérêt du secteur bancaire: pour maintenir des résultats d’exploitation suffisants dans ce contexte où l’argent ne vaut rien, le secteur s’est tourné vers une stratégie d’augmentation du volume des prêts: l’endettement des ménages français a ainsi progressé de 9% entre 2014 et 2017. Malgré cette hausse des encours, les profits des banques ne cessent de diminuer : les flux nets d’intérêt ont ainsi reculé de 2,3% en 2017. Conséquence: le coefficient d’exploitation (charges d’exploitation divisés par le PNB) des banques françaises ne cessent d’augmenter, réduisant d’autant leurs marges de manœuvre.

Majors bancaires française: l’attaque des clones

Depuis les années 1980, la concentration bancaire s’est accompagnée d’une logique de compression des charges d’exploitation: automatisation des prises de décisions, centralisation des SI et des fonctions supports… Les agences bancaires – relais locaux de l’institution – ont ainsi perdu une grande partie de leur autonomie décisionnelle et se retrouvent bridées dans leur rôle premier: l’accompagnement des clients. Selon une étude du cabinet SIA Partners, le nombre d’agences pourrait ainsi diminuer de près de 12% entre 2016 et 2020.

Aujourd’hui, les business model sont quasi-identiques d’une banque à une autre. Malgré l’arrivée régulières de grappes d’innovations digitales ouvrant de nouveaux pans de services, la concurrence sectorielle reste structurée par la course au prix le plus bas. Cette option stratégique a pour elle sa congruence avec l’objectif de rationalisation des coûts d’exploitation mis en avant par l’ensemble des majors. En contrepartie, elle jugule leur capacité d’innovation sur les services, et les conduits à rogner sur leurs marges opérationnelles.

[Decode Banking 4.0] Part 1: la spectaculaire fragilisation des banques françaises (2)

Ce mouvement d’uniformisation arrive de plus à contretemps. Sous les effets conjoints de l’arrivée de nouveaux entrants sur le marché français et de la loi Macron qui simplifie les démarches de changement de banque, le taux d’attrition a doublé entre 2013 et 2016, et se maintient à un niveau de 4,5% selon Bain & Company. Confrontés à des offres hom*ogènes et à une baisse significative des switching costs, les usagers cherchent simplement à obtenir les prix les plus bas.

Des nouveaux acteurs séduisants… et fragiles

Cette volatilité bénéficie aux banques en lignes et aux fintechs, dont les services séduisent de plus en plus, et pas seulement parmi les jeunes. L’âge moyen des clients des banques en ligne avoisinerait ainsi les 40 ans selon une étude réalisée par Cbanque.com en août 2018. Ces acteurs digitaux épousent les nouvelles exigences et habitudes de consommation plus rapidement que les banques traditionnelles. Par ailleurs, des services financiers coopératifs next gen comme Morning ou à vocation éthique comme la Nef rencontrent un réel succès en se proposant de financer des projets à dominante locale, sociale ou écologique… Ou dit autrement, de se recentrer sur le rôle originel de la banque!

Toutefois, le succès fulgurant de ces services financiers masque mal une certaine fragilité financière, à l’image de la néobanque Morning qui avait dû en décembre 2016geler les dépôts de ses clients pendant plus d’un mois suite à un manque de fonds propres. La majorité des néo-banques ne disposent pas d’un agrément d’établissem*nt de crédit délivré par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et ne cotisent donc pas au Fonds de Garantie des Dépôts et de Résolution: en cas de faillite, leurs clients ne peuvent exiger aucun remboursem*nts.

Le contributeur :

[Decode Banking 4.0] Part 1: la spectaculaire fragilisation des banques françaises (3)Conférencier et doctorant en science de gestion, Fabien Giuliani étudie le lien entre veille stratégique et prospective. Ses travaux de recherche visent en particulier à mettre en lumière les utilisations de l’intelligence artificielle dans le domaine de l’intelligence économique.

Fondateur du cabinet Demain la Veille, il conseille les entreprises en termes de stratégie de transformation digitale et de gestion de l’information stratégique. Les mutations liées à l’économie digitale sont sa thématique de prédilection.

  • À propos
  • Articles récents

contributeur

Régulièrement, FrenchWeb ouvre ses colonnes à des experts pour partager leur expérience, et meilleures pratiques.

Les contributeurs sont des auteurs indépendants de la Rédaction de FrenchWeb. Leurs propos et positions leurs sont personnels.

Nous ne diffusons pas de tribunes produites à des objectifs de RP, ou de SEO.

Pour communiquer sur FrenchWeb ou le Journal des RH, devenez partenaire, cliquez ici.

Les derniers articles par contributeur (tout voir)

  • À la rencontre de Flore ASSIÉ-SOYEZ, directrice expérience client chez DECATHLON - 18/09/2023
  • À la rencontre d’Alexandre Rubin, CEO de Petit Bateau (ex-CEO France et Benelux de Yves Rocher) - 11/09/2023
  • De 0 à 260 millions d’euros de CA dans le digital en 4 ans, avec Vincent Klingbeil (EDG) - 06/09/2023

Tags

BNP Paribas Crédit Agricole credit mutuel societe générale

[Decode Banking 4.0] Part 1: la spectaculaire fragilisation des banques françaises (2024)

FAQs

Quelles sont les banques françaises en difficulté ? ›

Au total, dix banques françaises sont concernées : sept par l'exercice de l'Autorité bancaire européenne - BNP Paribas, Bank of America Securities Europe, Groupe BPCE, Groupe Crédit Agricole, Groupe Crédit Mutuel, La Banque Postale et Société Générale - et trois par celui de la Banque centrale européenne - Bpifrance, ...

Quand sont prélevés les frais bancaires ? ›

Ils peuvent être prélevés sous forme de cotisation annuelle (frais de tenue de compte) ou immédiatement après une opération (dépassem*nt du plafond de découvert par exemple). Selon une étude de Panorabanques.com, les frais bancaires s'élèvent en moyenne à 215,10€ par an, en 2019.

Quelles sont les 3 banques qui vont fermer en France ? ›

trois banques françaises vont fermer : quelles solutions pour leurs millions de clients ?

Quelle est la banque la plus sûre en France ? ›

BNP Paribas

Il s'agit de l'une des banques les plus fiables de France, avec 200 ans de service auprès de clients particuliers et professionnels à son actif. La présence mondiale de cet établissem*nt permet aux clients d'accéder à un modèle bancaire intégré aux marchés mondiaux.

Quelles sont les banques qui ne facturent pas de frais de tenue de compte ? ›

Les néobanques, comme N26 et Revolut, proposent des comptes bancaires gratuits, sans frais de tenue de compte.

Comment faire pour éviter les frais bancaires ? ›

Quelles astuces mettre en place pour réduire ses frais bancaires ?
  1. choisir des services à la carte plutôt qu'une offre packagée ;
  2. opter pour une carte bancaire adaptée ;
  3. éviter les retraits en dehors de votre réseau bancaire ;
  4. augmenter votre découvert autorisé ;
  5. négocier avec votre conseiller ;
May 30, 2023

Comment ne plus avoir de frais bancaires ? ›

Frais bancaires : 5 astuces pour payer moins sans changer de...
  1. Refusez l'assurance des moyens de paiement. ...
  2. Traquez les frais inutiles. ...
  3. Ne souscrivez pas forcément au package. ...
  4. Abaissez le niveau de gamme de votre carte bancaire. ...
  5. Renégociez vos taux de crédits et d'assurances.
Mar 6, 2023

Quelles sont les banques les moins solides en France ? ›

Banque Populaire et Caisse d'Epargne, deux mutualistes à la traîne. Sans grande surprise, les deux marques bancaires les moins appréciées sont les deux grandes banques commerciales à portée nationale, SG, née de la fusion entre les réseaux Société Générale et Crédit du Nord, et BNP Paribas.

Quelle est la banque la moins risquée ? ›

BNP, Crédit agricole et Société ont un profil moins risqué, car à l'époque il y avait beaucoup d'investissem*nts dans l'immobilier et cela les avait plombés pendant la crise.

Est-ce qu'il faut retirer son argent de la banque ? ›

Si les banques n'hésitent pas à placer cet argent pour générer des intérêts pour leur profit personnel, le client ne recevra rien (et souvent, il ignore que les banques s'en servent). C'est pour cette raison qu'il est conseillé de ne laisser que le strict minimum sur ce compte.

Est-ce que certaines banques vont fermer ? ›

Trois banques vont fermer rapidement

Dans le paysage bancaire français, 2024 marque un tournant avec la fermeture annoncée de trois établissem*nts majeurs : Orange Bank, Ma French Bank et HSBC France se préparent à tourner la page, affectant profondément leurs clients.

Top Articles
Latest Posts
Article information

Author: Amb. Frankie Simonis

Last Updated:

Views: 6340

Rating: 4.6 / 5 (56 voted)

Reviews: 95% of readers found this page helpful

Author information

Name: Amb. Frankie Simonis

Birthday: 1998-02-19

Address: 64841 Delmar Isle, North Wiley, OR 74073

Phone: +17844167847676

Job: Forward IT Agent

Hobby: LARPing, Kitesurfing, Sewing, Digital arts, Sand art, Gardening, Dance

Introduction: My name is Amb. Frankie Simonis, I am a hilarious, enchanting, energetic, cooperative, innocent, cute, joyous person who loves writing and wants to share my knowledge and understanding with you.